Alors que les élections municipales approchent, de plus en plus d’élus locaux se heurtent à des décisions judiciaires qui les empêchent d’agir. Une judiciarisation qui inquiète.
A moins d’un an des élections municipales, les maires ou les candidats déjà déclarés fourbissent leurs armes en vue de cette échéance cruciale. Le mandat de maire est sans doute l’un des plus beaux qu’offre la République française. Pour la majorité des citoyens, les édiles de nos communes sont les élus les plus accessibles, « à portée d’engueulade » a-t-on l’habitude de dire.
Pourtant, cette lune de miel vécue au plus près des citoyens est en train de s’effondrer. Nous assistons à un phénomène de grande démission, pris désormais très au sérieux parce qu’il fait craindre un crash démocratique en 2026. Fin 2024, la ministre du Partenariat avec les territoires, Catherine Vautrin, expliquait dans les colonnes du Figaro que 2 400 maires avaient démissionné depuis 2020. Le fléau est exponentiel. Entre avril 2023 et octobre 2024, ce sont environ 1 100 maires qui ont quitté leurs fonctions. Une étude réalisée pour l’AMF1 (Association des maires de France) par des chercheurs du Centre de sociologie des organisations et publiée en novembre dernier témoignait de l’angoisse croissante de nos édiles : 91% se disent « sous pression » ; 86% déclarent des troubles du sommeil ; 85% évoquent de la lassitude…
Il faut dire que leurs conditions de travail se sont considérablement détériorées depuis quelques années. Il a fallu gérer la crise du Covid, la crise énergétique, l’inflation… Voilà pour l’agenda politique. En revanche, les maires ne pensaient pas aussi être pris pour cible. Au quotidien, désormais, il leur faut être attentif aux exigences de plus en plus dures de leurs concitoyens. Ils font l’objet de menaces, de violences verbales et même de violences physiques. Ces dernières explosent.
Ajoutons à cela que l’Etat les soutient de moins en moins : les injonctions contradictoires sont permanentes. La lourdeur administrative les écrase. Les normes les étouffent comme en témoigne la dernière loi ZAN (Zéro artificialisation nette des sols). Mais le dernier clou du cercueil de l’engagement municipal est sans doute l’irruption d’une justice plus que bancale dans le contrôle du pouvoir des maires. Or, si les maires sont empêchés d’agir, quel signal leur envoie-t-on ? Celui qu’ils ne sont plus utiles, pour le dire simplement. Constatant leur impuissance, qui peut croire raisonnablement qu’ils continueront à vouloir s’engager ?Deux exemples récents doivent sonner le tocsin. Le premier a beaucoup fait parler. C’est celui de Robert Ménard, le maire de Béziers. En 2023, il s’oppose au mariage d’un Algérien de 23 ans sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français. Robert Ménard pensait être dans son bon droit. Mais la justice en décide autrement, s’appuyant sur une jurisprudence constitutionnelle2 qui affirme que « le respect de la liberté du mariage s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle » à une union. Aussitôt, le maire de Béziers dénonce une situation « ubuesque ». La triste réalité, c’est bien que ce soit lui qui se retrouve poursuivi par la justice3. Le casier judiciaire de l’Algérien en question laisse apparaître pourtant une condamnation en 2021 à huit mois d’emprisonnement avec sursis pour un vol avec violence et en réunion et escroquerie…
Une situation qui démoralise les élus de terrain
La justice semble marcher sur la tête. On pourrait s’en arrêter là mais l’actualité n’a pas dit son dernier mot. Au mois de mai, une autre maire devient la victime de la même cabale juridique. Il s’agit de la maire de Bourg-lès-Valence, dans la Drôme, Marlène Mourier. Cette maire courageuse annonce qu’elle ne mariera pas un Tunisien en situation irrégulière et une Française. Dans un entretien préalable en mairie, le Tunisien en question annonce qu’il souhaite se marier pour obtenir un titre de séjour. Le premier magistrat de la commune comprend que le mariage qu’elle allait célébrer est donc en réalité un mariage blanc. Légitimement, elle oppose son veto. Malgré cela, le procureur de la République de Valence, Laurent De Caigny, exige que l’union ait bien lieu. Marlène Mourier ne cède pas. Il n’y aura pas de mariage. Mais, tout comme pour Robert Ménard, elle s’expose à des sanctions ahurissantes : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ! La justice devient-elle politique ? En tout cas, l’audition du Tunisien est suffisamment claire, ne laissant place à aucune interprétation possible de la part de la mairie de Bourg-lès-Valence.
Une des premières missions des maires consiste à garantir la cohésion de la République. Faire en sorte de ne pas laisser des clandestins sans papiers, en situation donc irrégulière, sur notre sol, semble donc de nature à être plutôt applaudi. L’article 63 du code civil leur confie d’ailleurs la tâche de vérifier la réalité du consentement des futurs époux.
Toutefois, aujourd’hui, ce pouvoir est vidé de sa substance en raison d’un cadre juridique défaillant. Les maires se retrouvent même sans soutien de la part des plus hautes institutions de notre République, le Conseil constitutionnel au premier chef, dont la jurisprudence ne paraît pas favorable à la restriction des droits des personnes sous OQTF. Le sénateur Stéphane Demilly avait déposé une proposition de loi pour que le mariage soit conditionné à ce que les deux futurs époux soient en situation régulière sur le territoire français. Le texte a été approuvé au Sénat. Le Président de la République, interrogé par Robert Ménard sur le sujet le 13 mai sur TF1 lors d’une émission spéciale intitulée « Les défis de la France », indiquait vouloir que cette loi soit adoptée définitivement. Il est temps en effet que l’Assemblée nationale la vote à son tour. Il faudra ensuite espérer que le Conseil constitutionnel ne censurera pas une loi de bon sens qui réaffirme le pouvoir des maires. Quatre d’entre eux viennent de signer fin mai une tribune dans Le Figaro4 pour demander précisément au gouvernement d’engager, sans délai, cette réforme législative.
Si nous voulons encore des maires à la tête de nos communes en 2026 et heureux de remplir cette vocation, les entendre enfin, particulièrement sur ce point, paraît bienvenue.
Sources :
1. https://medias.amf.asso.fr/docs/DOCUMENTS/80a961349bcaebb1371c456467f068e1.pd
2. La jurisprudence du Conseil constitutionnel interdit depuis 1993 qu’un maire refuse de marier un étranger au motif que celui-ci est en situation irrégulière. Dans sa décision n° 93-325 du 13 août 1993, il déclare que la liberté du mariage « est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 » et « son respect s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé. »
3. Robert Ménard doit être jugé devant le Tribunal correctionnel ayant refusé de plaider coupable le mardi 18 février 2025 face au procureur de Montpellier, Fabrice Belargent.
4. https://www.lefigaro.fr/vox/politique/nous-maires-demandons-l-interdiction-des-mariages-d-etrangers-en-situation-irreguliere-ou-sous-oqtf-20250519