CEDH : une justice militante contre la souveraineté des nations

Derrière les décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), un bras de fer politique s’engage entre juridiction supranationale et États membres. Tandis que les États tentent de reprendre la main sur leur politique migratoire, la CEDH multiplie les décisions controversées au nom des droits fondamentaux. Une confrontation silencieuse mais cruciale s’installe alors entre légitimité démocratique et pouvoir juridictionnel.

Quand les juges de Strasbourg imposent une idéologie migratoire

Le 22 mai 2025, une fronde sans précédent a éclaté au sein des instances européennes : à l’initiative de Giorgia Meloni, première ministre italienne, et Mette Frederiksen, première ministre danoise, neuf États européens – dont l’Italie, le Danemark, la Pologne ou encore l’Autriche – ont publié une lettre ouverte1 contestant la jurisprudence migratoire de la Cour européenne des droits de l’homme. Leur message est clair : « ce qui était juste hier ne l’est peut-être plus aujourd’hui ». Selon ces pays, l’interprétation actuelle de la Convention européenne des droits de l’homme rend les expulsions quasi impossibles, y compris pour des étrangers condamnés pour des délits graves. Cette offensive politique vise directement la CEDH, accusée d’imposer aux démocraties nationales une lecture maximaliste des droits fondamentaux, déconnectée des réalités migratoires que connaît actuellement l’Europe. L’affrontement entre la CEDH et ces neuf États révèle une fracture fondamentale : d’un côté, des juges qui se posent en gardiens des droits fondamentaux ; de l’autre, des nations confrontées à des défis migratoires concrets. 

La réaction de la CEDH et du Conseil de l’Europe, par la voix du secrétaire général du Conseil de l’Europe Alain Berset, a été immédiate : refus de toute réforme, et accusation de « politisation de la justice ». En érigeant les droits fondamentaux en absolu, la CEDH évacue toute neutralité et semble ignorer les réalités nationales comme l’insécurité causée – entre autres – par l’impossibilité d’expulser des délinquants étrangers.

L’affaire Sharafane : un tournant controversé

La décision Sharafane c. Danemark (CEDH, 12 novembre 2024) a été un point de bascule. En refusant l’expulsion d’un trafiquant de drogue irakien au motif que l’interdiction de retour de six ans « équivaudrait de facto à une interdiction permanente » – donc contraire à l’article 8 de la Convention (droit à la vie privée et familiale) –, la Cour a franchi un seuil critique. Ce raisonnement donne naissance à un droit implicite au retour pour les étrangers expulsés, même délinquants, même sans attaches familiales. Une invention jurisprudentielle qui, demain, pourrait rendre toute expulsion illégitime si le pays d’accueil n’assure pas un « retour » garanti.

Un pouvoir judiciaire délié de tout mandat populaire

Non élus et indépendants de tout exécutif, les juges de Strasbourg imposent pourtant leurs décisions à 46 États, sans véritable contrepoids institutionnel. La CEDH ne se contente plus d’interpréter la Convention. Elle élargit son champ d’action, parfois au-delà de son mandat initial. Voici trois exemples marquants de cet état de fait :

  • J.M.B. et autres c. France (2020) : La Cour a imposé une réforme de la détention provisoire en France, sous peine d’amendes, limitant la marge de manœuvre de l’État.
  • Khlaifia c. Italie (2016) : L’Italie a été condamnée pour la détention de migrants tunisiens à Lampedusa en 2011 jugée « inhumaine » malgré un contexte d’urgence migratoire.
  • M.A. c. Belgique (2020) : La Belgique a été sanctionnée pour avoir expulsé un demandeur d’asile soudanais malgré une identité falsifiée.

À travers ces affaires, les articles 3 (interdiction des traitements inhumains), 8 (vie privée) et 13 (droit à un recours effectif) deviennent des outils pour contrer les politiques migratoires nationales, même celles soutenues par les urnes.

La souveraineté entravée : une camisole judiciaire ?

La question migratoire n’est pas seulement un débat d’ordre juridique : elle concerne surtout l’identité, la sécurité, la cohésion même de nos sociétés. Or, la jurisprudence de la CEDH impose un modèle unique, hostile à toute différenciation nationale. Les expulsions deviennent impossibles, les reconduites à la frontière illégitimes, les régulations administratives suspectes. 

Plus largement, le problème de fond tient à ce que les États n’ont aujourd’hui que très peu de recours contre la logique de la CEDH à moins d’une réforme radicale ou bien d’un retrait pur et simple de la Convention. Une option redoutée mais qui reste juridiquement possible. Le Royaume-Uni de Rishi Sunak a envisagé cette voie. Jusqu’où faudra-t-il aller pour que la souveraineté nationale soit de nouveau respectée ?

Reconquérir le politique : la CEDH n’est pas une fatalité !

La bataille ne fait que commencer. La lettre italo-danoise a fissuré le mythe de l’unanimité juridique européenne. Elle met à nu le caractère profondément politique de la CEDH, malgré les discours faussement technocratiques de ses défenseurs. Il ne s’agit pas d’abolir les droits fondamentaux mais de restaurer un principe simple : le droit doit servir la nation, pas la neutraliser.

Sources :
1. https://www.governo.it/sites/governo.it/files/Lettera_aperta_22052025.pdf

Martin Lacombe

Martin Lacombe

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