Le Conseil constitutionnel a rendu ce 19 juin une décision1lourde de conséquences pour le gouvernement et, plus largement, pour le Parlement. En censurant une large partie de la loi portée par Gabriel Attal sur la justice des mineurs -texte censé renforcer l’autorité de l’État face à une délinquance juvénile en hausse- les juges constitutionnels rappellent les limites imposées à toute volonté de réforme pénale dès lors qu’elle touche à des principes qu’ils considèrent comme intangibles. Une décision qui, au-delà de sa portée juridique, soulève une question plus politique : Que reste-t-il du pouvoir du législateur face à des censeurs autoproclamés « gardiens du droit » de plus en plus enclins à restreindre l’initiative démocratique ?
Un texte voulu comme une réponse aux violences juvéniles
Le texte censuré n’était pas anodin. Issue d’un contexte bien particulier – celui des émeutes urbaines de l’été 2023, au cours desquelles les mineurs furent surreprésentés – la loi Attal se voulait une réponse ferme à l’impuissance de la justice des mineurs, trop souvent perçue comme lente, inefficace, voire déconnectée de la réalité sociale. Le texte visait à instaurer un cadre de répression plus réactif en introduisant notamment la comparution immédiate pour les jeunes délinquants, en fusionnant certaines procédures et en limitant l’atténuation de responsabilité pour les récidivistes âgés de plus de 16 ans. En somme, il s’agissait de recentrer la justice sur la protection de la société et des victimes sans renier les principes éducatifs à la base de la justice des mineurs, mais en les adaptant aux enjeux contemporains.
Un barrage constitutionnel au nom de principes devenus rigides
C’est précisément cette ambition qui a été balayée par le Conseil constitutionnel, dans une décision qui invalide six articles essentiels du texte. Les juges ont notamment estimé que la mise à l’écart automatique de l’atténuation de peine pour les récidivistes portait atteinte à un principe constitutionnel fondamental : la minorité pénale, et avec elle, la priorité donnée à l’éducatif sur le répressif. Ils ont aussi censuré la possibilité de juger un mineur en une seule audience rapide, y voyant une atteinte à ses droits fondamentaux de défense. On retrouve ici la lecture extensive d’un texte fondateur : l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante, qui continue de structurer, comme une norme quasi-sacrée, toute la justice des mineurs en France. Le Conseil constitutionnel étend en effet, pour censurer le texte, les contours du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs (§22-26).
La décision interpelle car elle va bien au-delà de simples rectifications juridiques. Elle donne l’impression d’un verrou idéologique posé par des juges qui, au nom de leur lecture subjective de principes datés, empêchent toute évolution significative d’un système pourtant largement critiqué. Alors que les élus ont tenté, par le débat parlementaire, de faire évoluer un modèle de justice devenu inadapté à la montée de la violence juvénile contemporaine, les « Sages » du Conseil viennent restreindre leur marge de manœuvre leur imposant de respecter nouvelles exigences et de ne pas franchir ces lignes. Cette position soulève une inquiétude : celle d’une prise de pouvoir silencieuse de la technostructure juridique sur le politique, cherchant à empêcher des réformes pourtant attendues par une large partie des Français. Alors que Richard Ferrand lors de son audition en janvier devant la représentation nationale avait prétendu s’engager à respecter la volonté du Parlement, cette décision montre bien qu’il s’inscrit dans la ligne idéologique de subversion de notre régime politique promue par les précédents présidents socialistes du Conseil constitutionnel avant lui : Badinter, Dumas ou Laurent Fabius…
Quand la légitimité démocratique se heurte à l’immobilisme juridique
Sans qu’il s’agisse de remettre en cause le principe du contrôle de constitutionnalité, il convient néanmoins de s’interroger sur sa portée actuelle. En censurant aussi massivement une loi discutée, votée par la majorité des représentants des Français, et qui plus est soutenue par l’exécutif, le Conseil s’érige un peu plus en arbitre des choix de société -ce qui ne saurait être sa fonction. Si l’on peut comprendre l’intention protectrice des juges à l’égard des mineurs ; pour autant, peut-on durablement gouverner un pays si chaque tentative de réforme touchant à la responsabilité pénale est rejetée au nom de principes élaborés dans un contexte historique révolu ? L’ordonnance de 1945 a été pensée dans une France de l’après-guerre ; la société de 2025, confrontée à une violence délinquante organisée, n’est plus la même. Le droit et les lois ne peuvent être figés quand la réalité évolue.
Cette censure remet donc en cause la capacité actuelle de nos institutions démocratiques à faire évoluer le droit dans le respect de l’intérêt général et de la volonté de la Nation. Pire encore, elle crée une forme de défiance dans l’opinion publique qui constate que même des lois fermement encadrées, adoptées en respectant toutes les procédures parlementaires, peuvent être désavouées par neuf membres nommés sans contre-pouvoir réel, ni recours possible. Le risque est grand : celui d’un droit confisqué, où la souveraineté de la Nation se heurte à une barrière infranchissable au nom d’une interprétation idéologique et dynamique de la Constitution et de ses principes.
Repenser l’équilibre des pouvoirs pour restaurer l’efficacité législative
Ce que révèle cette censure, c’est moins un désaccord juridique qu’un déséquilibre démocratique. La justice des mineurs ne peut rester un sanctuaire hors d’atteinte du législateur. À force d’ériger des principes en totems intouchables, on fige le droit, on décourage l’action politique et on laisse le champ libre à l’impuissance.
Il devient urgent de réinterroger les équilibres institutionnels. Peut-être faut-il, à terme, renforcer la portée des débats parlementaires face à la surinterprétation de certains principes constitutionnels. Peut-être faut-il encore constitutionnaliser d’autres impératifs -ceux de la sécurité publique, de la protection des victimes, ou même du bon ordre républicain -qui ne sont aujourd’hui que secondaires face aux droits des personnes poursuivies. Cela pourtant ne pourra être fait sans que l’on ne réfléchisse à l’encadrement des modalités du contrôle constitutionnel. En démocratie, le droit doit être un outil de régulation et non un carcan dogmatique. Il doit prévenir, dissuader, sanctionner mais aussi refléter les attentes légitimes du peuple.
- https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2025/2025886DC.htm