Condamnation de l’Assurance-maladie pour son refus de prise en charge de transitions de genre : une décision juridiquement fragile

Le 23 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Bobigny a condamné la CPAM de Seine-Saint-Denis et la Cnam pour avoir refusé la prise en charge des soins de deux « hommes transgenres » (des femmes désirant devenir des hommes) dans leur « transition de genre » (changement de sexe notamment). Si cette décision invoque la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) pour sanctionner une prétendue discrimination, elle soulève des interrogations sur sa solidité juridique et ses implications pour un système de santé déjà fragilisé.

Les faits : une condamnation pour refus administratif

Le 23 juin 2025, le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny a rendu un jugement11 condamnant la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis et la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) à verser solidairement 3 000 € de dommages et intérêts à chacun des deux plaignants, ainsi qu’à rembourser 5 302 € de frais chirurgicaux (mastectomie bilatérale, c’est-à-dire l’enlèvement chirurgical d’un ou des deux seins) pour l’un d’eux.
Cette décision fait suite au refus de la CPAM de prendre en charge des soins liés à la transition de genre, en s’appuyant sur un protocole de 1989 exigeant un suivi médical de deux ans par un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien.

Le premier plaignant, reconnu en affection longue durée (ALD) pour dysphorie de genre en janvier 2020, s’était vu refuser le remboursement de sa mastectomie réalisée en février 2021. Le second, non reconnu en ALD, a obtenu cette reconnaissance par le tribunal. Cette affaire s’inscrit dans un mouvement contentieux porté par Me Laura Gandonou, qui défend d’autres plaignants contre des CPAM à Lyon, Cahors, Toulouse et Grenoble, après une condamnation similaire dans le Bas-Rhin en mai 2025. Ce litige administratif touche à la gestion des ressources publiques, mais reflète une judiciarisation croissante des questions sociétales. 

L’argumentation du juge : une application contestable de la Conv. EDH

Le tribunal fonde sa décision sur l’illégalité des exigences imposées par la CPAM, issues d’un protocole de 1989 abrogé. Il juge ces conditions contraires aux articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Conv. EDH, estimant qu’elles créent une « inégalité d’accès à la santé en fonction de l’identité de genre ». Le juge s’appuie également sur le code de la sécurité sociale, lequel ne prévoit pas de telles contraintes, ainsi que sur différents rapports (Ministère de la Santé, 2022 ; Défenseur des droits, 2020) pointant des disparités territoriales dans les prises en charge des transitions de genre.

Le tribunal relève que le refus de remboursement a causé un préjudice, qualifié de « transphobie » par l’avocate des plaignants. Cette qualification, cependant, n’est pas étayée par une démonstration d’une intention discriminatoire, mais repose sur l’effet des pratiques administratives. Enfin, le juge note une inégalité territoriale due à des décisions « aléatoires » des CPAM, engageant la responsabilité de la Cnam pour défaut de supervision2

Critique juridique : une décision juridiquement fragile et idéologiquement orientée

L’invocation des articles 8 et 14 de la Conv. EDH apparaît juridiquement fragile. Ces dispositions, destinées à protéger des droits fondamentaux, ne s’appliquent pas directement aux refus administratifs de remboursement, sauf en cas de discrimination avérée. Or, le tribunal ne démontre pas une intention discriminatoire de la CPAM, mais sanctionne une pratique administrative obsolète. Cette extension de l’interprétation des droits garantis par la Conv. EDH risque de créer un précédent dangereux, transformant tout refus administratif en violation potentielle des droits humains, au détriment de la souveraineté des États en matière de politique de santé. 

Un concept de « transphobie » juridiquement creux

La qualification de « transphobie » comme fondement du préjudice est problématique. Ce terme, absent du droit positif français, repose sur une interprétation subjective et militante. Le tribunal aurait pu se limiter à constater une inégalité de traitement sans recourir à une rhétorique idéologique. 

Une méconnaissance des contraintes budgétaire

La décision ignore les impératifs financiers de l’Assurance-maladie, confrontée à un déficit structurel (22 milliards € prévus en 2025). En imposant la prise en charge systématique de soins liés à la transition de genre, le tribunal pourrait aggraver la pression sur un système de santé déjà exsangue, au risque de détourner des ressources de pathologies plus urgentes. Cette priorisation implicite reflète une forme d’anarcho-tyrannie, où les droits individuels priment sur l’intérêt collectif et se voient valorisés sans limite. 

Une sanction insuffisamment motivée

Enfin, la condamnation de la Cnam pour défaut de supervision des CPAM manque de clarté. Le tribunal ne précise pas en quoi la Cnam aurait failli à ses obligations légales, rendant la décision vulnérable à un appel. De plus, le rejet des demandes de trois associations pour des raisons procédurales (absence de mandat) et l’absence d’indemnisation pour les autres révèlent une hésitation du juge, affaiblissant l’idée d’une sanction « dissuasive ». 

Autour de la décision : une avocate militante

Aucune information publique n’identifie les juges du pôle social de Bobigny ayant rendu cette décision. Cette opacité, conforme aux principes d’impartialité judiciaire, empêche hélas les citoyens d’évaluer d’éventuels biais idéologiques ayant pu influencer l’adoption de cette décision. Toutefois, l’absence de transparence sur les magistrats contraste avec la visibilité de Me Laura Gandonou, avocate des plaignants. Engagée dans des contentieux stratégiques avec des associations comme SOS Homophobie et Fiertés en lutte, elle pilote une campagne judiciaire visant à réformer les pratiques des CPAM. C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle a encore récemment participé au rapport sur la révision de la décision-cadre du Défenseur des droits n° 2020-136 relative au respect de l’identité de genre des personnes transgenres3… Son rôle, relayé par des médias et des associations militantes, suggère une approche militante du droit, qui pourrait influencer l’orientation idéologique de la décision.

Proposition : un retour à la rigueur juridique

Pour éviter de nouvelles condamnations, l’Assurance-maladie doit clarifier ses critères de prise en charge des soins liés à la transition de genre, en s’appuyant sur des protocoles médicaux objectifs et non sur des circulaires obsolètes. Une circulaire nationale, alignée sur le code de la sécurité sociale, pourrait encadrer ces remboursements tout en respectant les contraintes budgétaires. À l’étranger, des pays comme l’Allemagne imposent des évaluations médicales rigoureuses avant toute prise en charge, évitant ainsi les dérives contentieuses.

 Un précédent risqué

La décision du tribunal de Bobigny repose sur une argumentation juridiquement fragile et idéologiquement orientée. En invoquant la Conv. EDH pour sanctionner un refus administratif, elle risque d’ouvrir la voie à une judiciarisation incontrôlée des politiques de santé, au détriment des finances publiques. Ce jugement illustre parfaitement les tensions entre droits individuels et intérêt général.  

Sources :

https://www.lefigaro.fr/social/l-assurance-maladie-condamnee-pour-avoir-refuse-la-prise-en-charge-de-deux-transitions-de-genre-20250624 
 
https://www.mediapart.fr/journal/france/250625/prise-en-charge-des-parcours-de-transition-le-tribunal-retoque-les-decisions-de-l-assurance-maladie-en-sei 
 
https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/transition-de-genre-une-cpam-condamnee-pour-avoir-refuse-la-prise-en-charge-des-soins-de-deux-hommes-7900519004 
 
https://www.lefigaro.fr/social/l-assurance-maladie-condamnee-pour-avoir-refuse-la-prise-en-charge-de-deux-transitions-de-genre-20250624 
 
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte_lc/LEGITEXT000006073189

Notes:

  1. https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal-soins-de-ville/assurance-maladie/transition-de-genre-lassurance-maladie-condamnee-pour-refus-de-prise-en-charge ↩︎
  2. https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/06/24/l-assurance-maladie-condamnee-pour-avoir-refuse-la-prise-en-charge-de-deux-transitions-de-genre_6615653_3224.html ↩︎
  3. https://hal.science/hal-04845215v1/document ↩︎

Observatoire des Décisions de Justice

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