La Hongrie de nouveau condamnée par la justice européenne pour avoir voulu contrôler ses frontières!

Dans un arrêt rendu le 24 juin 2025, la Cour européenne des droits de l’homme
(CEDH) a une nouvelle fois rappelé à l’ordre un État souverain sur sa politique
migratoire. Ce jugement s’inscrit dans une série d’interventions de plus en plus
contraignantes pour les législations nationales, notamment en matière de contrôle
aux frontières. Décryptage d’un cas symptomatique.

Le 24 juin 2025, la Cour EDH a condamné la Hongrie dans l’affaire H.Q. et a. c. Hongrie1 pour « expulsions collectives d’étrangers », « absence de recours effectif »
et « violation procédurale de l’interdiction des traitements inhumains ou
dégradants ». Trois étrangers -deux Afghans et un Syrien- avaient été renvoyés de
Hongrie en Serbie sans examen individuel de leur situation, en vertu d’un mécanisme
national de retour automatique prévu par la loi hongroise sur la frontière d’État.

Pour les juges strasbourgeois, peu importe que ces individus soient entrés
clandestinement ou que la Hongrie ait tenté d’endiguer une pression migratoire
croissante
. Ce qui compte, c’est l’absence d’une procédure d’asile pleinement
ouverte avant le renvoi, même si le pays d’origine des requérants (Afghanistan et
Syrie dans le cas présent) est reconnu comme instable.

À noter que cette même procédure d’éloignement avait pourtant été mise en place
dans un contexte d’urgence, dès 2016, pour répondre à une vague migratoire
massive. Renforcée en 2020, la règle imposait désormais une « procédure via
l’ambassade » comme voie d’entrée exclusive pour déposer une demande d’asile –
procédure que la Cour a jugée trop floue, peu protectrice et finalement illégale.

Une répétition des sanctions, sans égard pour la souveraineté

Ce n’est pas la première fois que la Hongrie est sanctionnée pour sa politique
migratoire. Outre d’autres condamnations par cette même Cour EDH 2 , c’est
également en 2022, que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait
invalidé le régime transitoire hongrois imposant ces demandes d’asile à distance via
ses ambassades3. La Cour EDH s’inscrit donc dans une ligne jurisprudentielle
assumée dans laquelle les différentes autorités judiciaires européennes désavouent
frontalement des choix politiques assumés d’un gouvernement élu, cherchant à
circonscrire leurs possibilités d’action en matière de lutte contre l’immigration.

S’agit-il ici de garantir un juste équilibre entre sécurité des frontières et respect des
droits fondamentaux ou bien assiste-t-on à une forme d’ingérence judiciaire
systématique dans la définition même des politiques migratoires nationales ?
Dans
ce dossier, la Hongrie n’a pas renvoyé des demandeurs d’asile vers des zones de
guerre ou présentant un danger, mais vers la Serbie, État européen qualifié par
ailleurs de « pays tiers sûr ». Pourtant, faute d’avoir « évalué les risques », le retour
vers ce pays suffit à déclencher la censure.

L’affaire K.I. c. France : la logique du soupçon

La France elle-même a été concernée par ce type d’interprétation extensive. Dans
l’arrêt K.I. c. France (Cour EDH, 15 avr. 20214) , la Cour avait empêché le renvoi vers
la Russie d’un ressortissant tchétchène pourtant fiché S et condamné pour des faits
de violence. Motif : la France n’avait pas prouvé que l’intéressé ne risquait pas d’être
maltraité en cas de retour. Dans cette affaire, il peut d’ailleurs être relevé qu’il ne
s’agissait que d’un motif procédural et non de fond (§144-146) et que dans cette
affaire, jugée à l’unanimité des sept juges, figurait celui de nationalité française
Mattias Guyomar, devenu depuis président de la Cour EDH.

Ce que la Cour EDH impose aux États n’est donc pas simplement un respect formel
des procédures mais un véritable devoir d’anticipation absolu quant aux risques
encourus -fussent-ils purement théoriques- et cela même pour des individus
reconnus comme dangereux ou passés par des voies irrégulières
. Ce respect
devient ainsi une norme supérieure, opposable à toute politique ferme de reconduite
à la frontière en matière de migration irrégulière.

L’arrêt N.D. et N.T. c. Espagne : une brève respiration

En 2020, dans une jurisprudence plus nuancée (13 fév. 2020, N.D. et N.T. c. Espagne5 ), la Cour EDH avait pourtant validé l’expulsion immédiate de deux migrants
ayant tenté d’escalader la clôture de Melilla, au Maroc. Le critère retenu considérait
que ces individus n’avaient pas utilisé les voies légales disponibles, notamment les
bureaux de demandes d’asile à la frontière, choisissant au contraire de manière
délibérée de franchir illégalement la frontière. Cette décision semblait reconnaître un
droit à la maîtrise des flux et à une forme de dissuasion en cas d’entrée violente ou
concertée. Qui plus est, rendu en Grande Chambre, cet arrêt est d’une valeur
juridique et politique supérieure à celles des autres affaires citées ; encore faut-il que
dans ces différentes affaires les États en cause fassent appel de la décision rendue.

Mais cet équilibre a été de courte durée. L’arrêt hongrois du 24 juin 2025 le démontre
avec brio : dès lors que la voie légale est considérée comme imparfaite – en
l’occurrence, la procédure via ambassade – l’État est réputé fautif, peu importe le
contexte, la pression migratoire ou les risques sécuritaires.

Une lecture déséquilibrée des droits fondamentaux

Dans ce genre d’affaires, la difficulté tient à l’asymétrie des exigences imposées par
la Cour EDH : l’État doit faire la preuve qu’il a tout mis en œuvre dans des délais
souvent très courts pour assurer la parfaite application des droits procéduraux de
l’étranger, y compris lorsqu’il est entré illégalement. À l’inverse, aucune obligation de
coopération ou de régularité n’est exigée de la part du requérant. Le principe de
conformité procédurale ne semble alors plus s’appliquer que dans un seul sens.

Ajoutons que dans cette affaire, la Hongrie a été condamnée à verser une somme
totale de 23 000 € aux trois plaignants au titre de leur dommage moral ainsi que
13 000 € au total pour leurs frais de justice. La Cour se pose donc aussi en « juge-
réparateur », indemnisant des étrangers expulsés qui, pour certains, vivent
aujourd’hui en Allemagne ou en Autriche (!) hors de toute juridiction hongroise.

Vers une souveraineté entravée

Loin d’être un cas isolé, cette affaire révèle une tendance plus profonde : la transformation progressive de la Cour EDH en acteur normatif supra-étatique dont
les arrêts, loin de corriger des abus isolés, encadrent désormais la définition même de la politique migratoire des États. Elle agit moins comme rempart contre l’arbitraire que comme instrument de normalisation idéologique, interdisant de fait toute politique migratoire souveraine si elle s’écarte de certains standards jugés « compatibles » avec la Convention EDH.
Cette dérive, si elle se poursuit, posera à terme une question simple et fondamentale : les peuples européens ont-ils encore le droit de décider qui entre et qui reste sur leur sol ?
Notons encore pour conclure qu’il ne s’agit que d’un arrêt de chambre qui n’est donc,
à ce titre, pas définitif. Dans les trois mois qui viennent, toute partie à cette affaire et
notamment donc la Hongrie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande
Chambre (un collège de cinq juges déterminerait alors si l’affaire justifie un plus
ample examen).

  1. https://www.echr.coe.int/fr/w/judgment-concerning-hungary-4 ↩︎
  2. https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-210853%22]} ↩︎
  3. https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=1CB8AB5A26376F4518D3F6570D31AF 84?text=&docid=274870&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=226014 ↩︎
  4. https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-209176 ↩︎
  5. https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-201354 ↩︎

Martin Lacombe

Martin Lacombe

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