Sous le prétexte du trouble mental, certains juges font de l’article 122-1 du Code pénal l’outil d’une dérive alarmante. En déclarant irresponsables des criminels, y compris des récidivistes dont la dangerosité était connue, ils organisent l’impunité des auteurs et le mépris des victimes. Cette pratique a un double effet dévastateur, sacrifiant à la fois le droit des victimes à la reconnaissance et le devoir de l’État de protéger.
« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal pose les fondations d’un principe juridique majeur : l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Cette disposition vise à écarter la responsabilité pénale lorsque l’élément intentionnel de l’infraction fait défaut. Conçue comme une protection, elle est cependant devenue le symbole d’une dérive judiciaire qui, sous le couvert de l’expertise psychiatrique, semble valider une chaîne de négligences et priver les victimes de la reconnaissance la plus élémentaire.
Le Code pénal distingue pourtant deux situations. Si le trouble mental n’a fait qu’altérer le discernement, la personne « demeure punissable », bien que la sanction pénale encourue soit atténuée. Ici, l’irresponsabilité pénale n’est donc plus absolue, mais relative. Cette voie de l’altération, qui permet une condamnation, est plus facilement entendable que celle de l’abolition, censée être exceptionnelle. Or, l’analyse de plusieurs affaires récentes démontre un recours à l’abolition qui interroge : s’agit-il vraiment d’une stricte application du droit, d’une conviction personnelle du juge ou d’une manière d’occulter les failles ayant mené au drame ?
Des drames évitables : l’expertise psychiatrique comme échappatoire judiciaire
La procédure ayant suivi l’assassinat en mai 2023 de Carène, infirmière au CHU de Reims, illustre de façon poignante cette défaillance systémique1. Le 3 avril 2025, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Reims a déclaré l’irresponsabilité pénale de son meurtrier, Franck F. Cette décision est insupportable au regard du parcours de l’agresseur : diagnostiqué schizophrène paranoïaque, il avait déjà été déclaré irresponsable pour une précédente agression au couteau en 2017, malgré des expertises contradictoires concluant tantôt à l’abolition de son discernement, tantôt à sa simple altération2. Sa propre mère et sa curatrice avaient alerté sur sa dangerosité et sa prise de traitement irrégulière3. Ces signaux ont été ignorés par un système qui l’a jugé « stabilisé »4. Comment la justice peut-elle conclure une seconde fois à l’irresponsabilité alors même que sa négligence initiale a directement permis la survenue de cet assassinat ? En concluant une seconde fois à l’irresponsabilité, la justice ne constate pas seulement un trouble mental ; elle entérine sa propre négligence, qui a rendu ce drame prévisible. La loi, qui pouvait permettre une prise en compte de la dangerosité, a été appliquée de la manière la plus déresponsabilisante qui soit.
Ce cas est loin d’être isolé et s’inscrit dans une problématique plus large où la notion commode de « déséquilibré », souvent utilisée dans les médias, vient masquer des réalités plus complexes et des failles systémiques profondes.
L’affaire Alban Gervaise, du nom du médecin militaire assassiné à Marseille en 2022 au nom d’Allah5, révèle une même tendance. Face à un dossier complexe mêlant potentiellement psychiatrie et terrorisme, la conclusion d’une abolition du discernement apparaît comme une solution de facilité, évitant de traiter le fond idéologique et sécuritaire de l’affaire. La veuve de la victime s’interroge d’ailleurs sur une possible simulation de l’agresseur, jugé apte à sa garde à vue et à ses trois mois de détention6. La décision prise le mercredi 25 juin 2025 par la chambre de
l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence de le déclarer pénalement
irresponsable7 renouvelle cette interrogation. Il ne sera pas jugé aux Assises et
échappe à la prison même s’il reste encore hospitalisé sous contrainte pour une
durée qui sera ultérieurement déterminée.
Ces drames illustrent tragiquement comment des individus aux troubles avérés, déjà sous l’œil de la justice, peuvent commettre l’irréparable, posant la question de l’adéquation des réponses pénales face à une dangerosité persistante.
La double peine des victimes
Ces cas démontrent l’immense pouvoir détenu par les juges du fait de la marge d’appréciation qui leur est laissée. En choisissant quasi systématiquement la voie de l’abolition du discernement et non celle de son altération, ils incarnent un système priorisant le soin de l’auteur plutôt que la protection de la société ou la justice pour la victime. En effet, lorsque l’auteur de l’infraction est érigé en malade à soigner plutôt qu’en coupable à condamner, la victime est doublement niée : d’abord dans sa souffrance, puis dans son droit à la justice et à la réparation. Privée de procès pénal, elle ne peut prétendre à aucune indemnisation pour ses préjudices de la part de l’auteur.
Protéger la société : l’impératif sacrifié
L’hospitalisation sous contrainte, souvent présentée comme la solution, est-elle une garantie contre la récidive ? Il est légitime d’en douter. Même face à des troubles avérés, la prison ne devrait-elle pas conserver son rôle premier d’outil de protection sociale, au-delà de sa seule fonction punitive ?
En définitive, alors qu’une lecture de la loi plus sévère et protectrice serait possible, certaines décisions judiciaires heurtent le bon sens et le besoin de justice des citoyens. Elles dessinent les contours d’une jurisprudence de l’impunité où l’auteur est absous, la victime oubliée, et la responsabilité de l’institution judiciaire elle-même, trop rarement questionnée.
- https://www.lefigaro.fr/faits-divers/l-auteur-de-l-assassinat-de-carene-mezino-infirmiere-poignardee- au-chu-de-reims-declare-penalement-irresponsable-20250403 ↩︎
- https://www.bfmtv.com/police-justice/infirmiere-tuee-a-reims-le-suspect-considere-irresponsable- penalement-dans-une-autre-affaire_AD-202310260362.html#xtor=AL-68 ↩︎
- https://www.ouest-france.fr/faits-divers/meurtres/infirmiere-tuee-a-reims-le-suspect-mis-en-examen- pour-assassinat-et-place-en-detention-provisoire-b0a352b0-fa50-11ed-9dad-48744aab688c ↩︎
- https://psychiatrie.crpa.asso.fr/2023-05-22-Revue-de-presse-succincte-Une-infirmiere-assassinee- au-CHU-de-Reims ↩︎
- https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/meurtre-dalban-gervaise-a-marseille-la-these-du- desequilibre-ne-passe-pas ↩︎
- https://france3-regions.franceinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du- rhone/marseille/temoignage-et-s-il-avait-simule-celui-qui-a-poignarde-le-docteur-alban-gervaise- devrait-eviter-un-proces-son-epouse-inquiete-3138962.html ↩︎
- https://www.lefigaro.fr/faits-divers/meurtre-d-alban-gervaise-devant-une-ecole-catholique-a- marseille-l-agresseur-declare-penalement-irresponsable-20250625 ↩︎