Quand la justice cherche à contrôler l’espace public numérique

Ces dernières semaines, une série d’initiatives judiciaires et administratives à l’encontre du réseau social X (anciennement Twitter) a suscité une vague d’interrogations légitimes. Entre demandes de transparence sur ses algorithmes, pressions de l’Arcom et ouverture d’une enquête pénale par le parquet de Paris, la plateforme fait l’objet d’un traitement qui interroge sur la neutralité de la justice et le respect de la liberté d’expression dans notre État supposé de droit. Cette affaire, révélatrice d’un déséquilibre grandissant entre indépendance des institutions et dérives idéologiques, mérite une analyse rigoureuse. Elle s’inscrit plus largement dans un contexte européen marqué par un renforcement des régulations établies par l’Union européenne visant les grandes plateformes numériques pour laquelle X fait par ailleurs l’objet d’une enquête de la Commission européenne pour non-respect du Digital Services Act (DSA) sous prétexte d’absence de transparence. 

Une procédure exceptionnelle aux contours flous

Le 17 juillet dernier, X a révélé être visé par une enquête préliminaire du parquet de Paris pour « manipulation algorithmique » et « propagation de contenus haineux1 ». Derrière ces termes vagues se cache une démarche inédite : exiger un audit du fonctionnement interne de l’algorithme de classement des contenus. Qui plus est, le choix de l’expert désigné par la justice pour cette mission n’a pas manqué de susciter la controverse : il ne s’agit, ni plus ni moins, que de David Chavalarias ! Ce chercheur affilié à l’EHESS est en effet connu pour ses positions militantes de gauche et pour avoir été, l’hiver dernier, le promoteur de la campagne « HelloQuittex » appelant au boycott de la plateforme2 et la migration des comptes vers le réseau BlueSky.

Un tel choix interroge forcément sur la volonté d’objectivité dans cette affaire. Peut-on confier à un militant engagé contre une entreprise donnée l’analyse technique des outils que celle-ci utilise ? Cela contrevient aux principes fondamentaux d’impartialité qui doivent encadrer toute mission d’expertise, a fortiori dans une procédure où les implications politiques et sociétales sont manifestes.

La mise sous surveillance politique d’un espace de liberté

Le réseau X, racheté par Elon Musk, s’est présenté comme un espace de liberté d’expression assumée, dans les limites du droit. Or, cette posture entre en décalage avec l’orientation actuelle de la politique française en matière de régulation des contenus en ligne. Et d’ailleurs, l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) a, elle aussi, lancé une procédure de mise en demeure à l’encontre de X, exigeant des informations sur la modération et l’impact de son algorithme3.

La concomitance de ces actions, qu’elles soient judiciaires et administratives, donne le sentiment d’un front commun contre un acteur numérique qui échappe au contrôle institutionnel. Cette réaction paraît d’autant plus ciblée que les autres plateformes (dont certaines sont pourtant connues pour une modération opaque) ne semblent pas faire l’objet d’un tel zèle judiciaire. Il y a là un indice préoccupant d’un traitement différencié fondé non pas sur des considérations objectives, mais sur des critères idéologiques ou politiques. Ce zèle est d’autant plus curieux depuis que l’on connaît la longue absence de réaction de l’Arcom aux signalements dont faisait l’objet l’émission de streaming au cours de laquelle Jean Pormanove est décédé4.

Une dérive de la justice à visée normative

L’instrumentalisation de la justice pour encadrer, voire restreindre, les expressions publiques perçues comme dissidentes constitue une rupture silencieuse mais réelle avec le principe intangible de neutralité judiciaire. Dans cette affaire, le parquet, c’est-à-dire un organe placé sous l’autorité du ministère de la Justice, initie une enquête à partir d’un faisceau d’accusations issues essentiellement d’organisations militantes ou d’ONG engagées idéologiquement5.

Il ne s’agit pas ici de nier l’existence de propos illicites sur les réseaux -ceux-ci devant être réprimés dans le respect des procédures- mais de s’alarmer du fonctionnement d’une justice qui prétend influer sur la structure même d’un espace d’échange en prétendant réguler son code source. Une telle approche revient à exercer un contrôle politique sur la liberté algorithmique pourtant reconnue comme un prolongement technique de la liberté d’expression dans le droit européen du numérique.

Une liberté d’expression en péril discret

Ce qui est en jeu dans cette affaire dépasse évidemment le cas particulier de X. C’est tout l’équilibre entre la liberté d’expression, la neutralité des autorités judiciaires et le rôle des citoyens dans le débat démocratique qui est en cause. En ciblant un espace de discussion libre et ouvert, les institutions judiciaires et administratives semblent vouloir redessiner les contours acceptables de l’opinion publique en excluant les discours qui échappent aux cadres idéologiques dominants.

Ce glissement est d’autant plus préoccupant que X demeure l’un des rares réseaux à permettre encore des échanges directs entre citoyens, journalistes, juristes et experts sans filtre institutionnel. En s’attaquant à cette plateforme et à son mode de fonctionnement, on ne vise pas seulement une entreprise ou une ligne éditoriale donnée mais bien la possibilité pour les citoyens de s’informer autrement et de débattre hors des circuits « officiels ».

L’urgence d’un sursaut démocratique

La mise en accusation judiciaire d’un réseau social fondée sur des présomptions idéologiques plus que sur des faits tangibles doit alerter toute conscience attachée à l’équilibre démocratique. Le rôle de la justice n’est pas de réguler les idées mais de sanctionner des infractions avérées, dans le respect du contradictoire et de l’impartialité. Dans le cas présent, ni l’une ni l’autre de ces garanties ne semblent pleinement respectées. Ce nouvel épisode illustre les dérives d’un système juridictionnel en perte de repères où la recherche de transparence et de neutralité est trop souvent supplantée par des préoccupations politiques. Il appartient désormais à la société civile, et notamment aux juristes, universitaires, professionnels du droit et citoyens engagés, de veiller à ce que la justice reste un contre-pouvoir et non un bras armé idéologique. L’affaire X doit devenir un cas d’école : celui d’un nécessaire retour à une justice équilibrée, rigoureuse, et véritablement au service du droit.

  1. https://www.usine-digitale.fr/article/le-reseau-social-x-vise-par-une-plainte-pour-manipulation-des-algorithmes.N2225317 ↩︎
  2. https://x.com/GlobalAffairs/status/1947213316331282504 ↩︎
  3. https://www.euractiv.fr/section/all/news/reseau-social-x-demandes-justice-francaise ↩︎
  4. https://www.frontieresmedia.fr/societe/rien-na-ete-fait-pour-jean-pormanove-larcom-sous-le-feu-des-critiques-pour-son-inaction-face ↩︎
  5. https://www.bvoltaire.fr/la-drole-denquete-du-parquet-de-paris-contre-x-les-experts-sont-ils-vraiment-neutres/ ↩︎
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Martin Lacombe

Martin Lacombe est diplômé d’un master de droit public et accompagne depuis plus de 10 ans des élus en exercice au sein de différentes institutions. L’environnement professionnel dans lequel il évolue exige de lui un suivi permanent des liens entre justice, politiques publiques et impératifs démocratiques. Ses connaissances du monde politique et de ses arcanes lui permettent d’apporter un regard approfondi et objectif sur les grands enjeux juridiques actuels.

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