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      Quand la charia s’invite dans le droit autrichien : un arbitrage polémique

      Une décision du tribunal de Vienne validant un arbitrage privé fondé sur la charia a suscité une vive polémique en Autriche. Ce cas, juridiquement conforme mais politiquement explosif, interroge les limites de l’arbitrage privé et les risques de dérives dans d’autres pays européens.

      En Autriche, un litige économique entre deux entrepreneurs musulmans a été soumis, en août 2025, d’un commun accord, à un tribunal arbitral privé, une pratique courante dans le pays1. Les parties ont choisi d’appliquer le droit islamique pour trancher leur différend. La sentence rendue, l’un des entrepreneurs, mécontent, a saisi le tribunal public de Vienne pour la contester. Contre toute attente, ce dernier a validé la décision, estimant qu’elle ne contrevenait pas aux principes fondamentaux du droit autrichien, tels que définis par le code civil et les normes constitutionnelles. 

      Un arbitrage privé sous le prisme de la charia

      Cette validation repose sur la liberté contractuelle des parties dans le cadre de l’arbitrage, un mécanisme prévu par la loi autrichienne, qui permet aux parties de choisir le droit applicable, tant qu’il ne viole pas l’ordre public. 

      Cette décision, bien que juridiquement fondée, a déclenché une tempête politique2. Irmgard Griss, ancienne présidente de la Cour suprême, a défendu la légalité de l’arbitrage, soulignant que « la charia n’est pas applicable de manière générale en Autriche, mais seulement si les parties le décident ». Gerhard Jarosch, ancien magistrat, a toutefois qualifié cette particularité d’« absurde », pointant du doigt l’ambiguïté d’un système permettant l’application d’un droit religieux dans un cadre privé, même sous contrôle judiciaire. L’un des dangers d’un tel mécanisme est qu’il échappe à l’Etat, l’arbitrage étant un modèle privé de résolution des litiges. 

      Une fracture politique et sociétale

      La controverse a exacerbé les tensions au sein de la coalition au pouvoir, composée des libéraux (Neos), des chrétiens-démocrates (ÖVP) et des socialistes (SPÖ). Yannick Shetty, chef du groupe parlementaire Neos, a dénoncé cette situation, considérant : « c’est un juge qui décide, pas un imam », tandis que le chef de l’ÖVP a promis de « mettre un terme à l’application de la charia ». 

      Le ministère de la Justice, dirigé par les socialistes, a appelé à la prudence, mettant en garde contre des « décisions politiques hâtives ». Les nationalistes du FPÖ ont dénoncé, de leur côté, l’émergence de « sociétés islamiques parallèles », réclamant une législation interdisant toute reconnaissance implicite de la charia.

      Au-delà de la politique, ce cas reflète un malaise plus profond dans la société autrichienne, comme l’a analysé Oliver Pink dans Die Presse (centre droit). Il y évoque un « processus irréversible » où des normes religieuses s’insèrent dans le tissu juridique et social autrichien, alimenté par des dynamiques démographiques et des pratiques culturelles visibles, telles que le port du voile ou la fréquentation accrue des mosquées. 

      Bien que l’arbitrage en question ne concernait qu’un litige privé et non des pratiques discriminatoires (interdites par la Constitution autrichienne), il cristallise les craintes d’une érosion des valeurs laïques et démocratiques.

      Un risque pour d’autres pays européens ?

      Ce précédent autrichien soulève des questions sur son éventuelle réplication dans d’autres pays européens, notamment en France et au Royaume-Uni, où des dynamiques démographiques similaires sont observées. 

      En France, un sondage Ifop de 20203 révélait que 57 % des jeunes musulmans de moins de 25 ans considéraient la charia comme supérieure aux lois de la République, un chiffre en hausse par rapport à un sondage précédent de 2016. Si la laïcité reste un pilier constitutionnel (loi de 1905, art. 1 de la Constitution), la montée des revendications communautaires, notamment autour des signes religieux, alimente les débats sur un possible « séparatisme ». Aucun arbitrage basé sur la charia n’a pour l’heure été judiciairement validé en France ; ou à tout le moins, n’a fait l’objet d’une exposition médiatique.

      Au Royaume-Uni, la situation est différente. Une enquête du Times de 2024 recensait l’existence de quatre-vingt-cinq « conseils de la charia », régissant mariages, divorces et successions -souvent au détriment des droits des femmes dans l’ensemble du royaume. Il arrive que ces instances informelles, opérant en marge du droit britannique, normalisent des pratiques comme la polygamie ou des héritages inégaux et potentiellement contraires à l’ordre public britannique. 

      Plus récemment, en juillet 2025, une offre d’emploi pour un « administrateur de la charia » publiée sur le site du gouvernement britannique4 a provoqué un tollé, conduisant à sa suppression forcée par le scandale public. Nigel Farage ainsi que des parlementaires conservateurs, comme Rupert Lowe, ont dénoncé une « justice parallèle » incompatible avec les valeurs britanniques. Ce scandale illustre les risques d’une reconnaissance implicite de la charia, même sans validation judiciaire, dans un pays où la régulation de ces conseils reste insuffisante.

      L’affaire autrichienne, bien que limitée à un arbitrage privé, met en lumière les tensions entre liberté contractuelle et cohérence des valeurs occidentales. Si le cadre juridique autrichien permet de tels arbitrages sous réserve de conformité avec l’ordre public ; rien ne semble devoir interdire un arbitrage semblable en France5, même si celle-ci ne semble pas pour l’heure être confrontée à un tel problème. Quant au Royaume-Uni, l’absence de régulation effective des conseils de la charia alimente le risque de dérives. L’essor de l’islamisation nous condamne à réguler cette question avant qu’elle ne prenne de l’ampleur.

      1. https://www.thetimes.com/uk/society/article/sharia-law-courts-uk-marriages-divorce-zs76vq2c9 ↩︎
      2. https://www.rfi.fr/fr/europe/20250824-autriche-l-utilisation-de-la-charia-pour-r%C3%A9soudre-un-litige-priv%C3%A9-fait-pol%C3%A9mique ↩︎
      3. https://www.lepoint.fr/politique/pour-57-des-jeunes-musulmans-la-charia-plus-importante-que-la-republique-05-11-2020-2399511_20.php ↩︎
      4. https://www.lejdd.fr/International/administrateur-de-la-charia-une-offre-demploi-sur-le-site-du-gouvernement-britannique-souleve-un-tolle-160608 ↩︎
      5. https://www.ifop.com/publication/le-rapport-a-la-laicite-a-lheure-de-la-lutte-contre-lislamisme-et-le-projet-de-loi-contre-les-separatismes/ ↩︎
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      Olivier Jehannin de Chamblanc

      Olivier Jehannin de Chamblanc a suivi un cursus universitaire à l’Université de Bourgogne, complété par une préparation à l’examen de l’ENS Droit au lycée Gustave Eiffel. Après une année d’études en droit européen et histoire du droit à l’Université Comenius de Bratislava, il retourne à Dijon pour un Master 1 généraliste. En cinquième année de son cursus, il s’installe à Paris, où il obtient un diplôme en histoire du droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

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