Recevez nos actualités

Une veille citoyenne, au service de l’intérêt général. Recevez les enquêtes, alertes et pétitions de l'ODJ directement dans votre boîte mail.

    Pas de spam. Fréquence mensuelle.

    Nous soutenir autrement :

    FAIRE UN DON

    Recevez nos actualités

    Une veille citoyenne, au service de l’intérêt général.

      Nous soutenir autrement :

      FAIRE UN DON

      Sarkozy en prison : une condamnation historique aux fondements juridiques fragiles

      Ce 21 octobre 2025, Nicolas Sarkozy entre à la prison de la Santé, devenant le premier président français incarcéré, pour « association de malfaiteurs » dans l’affaire du financement libyen de 2007. Malgré son appel et ses dénégations, l’exécution provisoire de sa peine de cinq ans ferme suscite un vif débat. Ses avocats, criant à l’injustice, promettent une riposte rapide en appel et ont d’ores et déjà déposé une demande de remise en liberté, espérant une audience d’ici un mois. « Ce n’est pas un ancien Président que l’on enferme ce matin, c’est un innocent » a écrit Nicolas Sarkozy dans un communiqué publié sur son compte X ce matin.

      Le 25 septembre 2025 restera dans les annales judiciaires françaises: pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un ancien président de la République ira en prison. L’ex-chef de l’État, Nicolas Sarkozy, a été condamné par la 32e chambre du tribunal de Paris à 5 ans de prison ferme, 100.000 euros d’amende et privation de ses droits civiques avec mandat de dépôt à effet différé pour « association de malfaiteurs », dans l’affaire du financement libyen soupçonné de sa campagne électorale présidentielle de 2012. Bien que l’ancien président ait fait appel, la peine prononcée étant assortie de l’exécution provisoire, Nicolas Sarkozy a bien été incarcéré ce mardi matin à la prison de la Santé.

      Passées la déflagration médiatique et l’avalanche de commentaires plus ou moins pertinents de soudains néo-spécialistes des questions de probité, essayons de prendre un peu de hauteur pour nous attarder sur quelques points juridiquement critiquables de cette décision. 

      Outre le fait, très discutable, que la présidente de la juridiction ait participé à l’organisation de manifestations contre Nicolas Sarkozy ou au jugement de François Fillon nous nous concentrerons sur le texte et les fondements juridiques mobilisés pour prononcer une telle condamnation.

      Un chef d’accusation nuageux

      Le premier point juridiquement contestable de la décision concerne le seul chef d’accusation retenu. En effet, sur les quatre chefs d’accusation soulevés par le Parquet et accueillis par le juge d’instruction (corruption passive, recel, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs, les juges du n’ont retenu que l’association de malfaiteurs.

      Selon l’article 450-1 du code pénal, l’association de malfaiteurs est caractérisée dès lors qu’une entente est « établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». À la lecture du texte, il semble qu’il faille la preuve que des crimes ou délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement aient voulu être commis.

      De surcroît, en février 2024 le tribunal judiciaire de Paris rappelait qu’« en application de l’article 427 du code de procédure pénale, les infractions pénales doivent être établies par des preuves, même appréciées d’après l’intime conviction des juges. En l’absence de toute preuve, une juridiction pénale de jugement ne saurait, sans méconnaitre le principe de la présomption d’innocence, déduire la culpabilité d’un prévenu d’une hypothèse fût-elle vraisemblable ». Autrement dit, il n’est, selon la jurisprudence du tribunal judiciaire de Paris, pas possible d’être condamné sur la base d’une simple hypothèse.

      Or dans le jugement visé, les juges n’ont retenu que l’association de malfaiteurs, relaxant Nicolas Sarkozy des trois principaux chefs, faute d’éléments probatoires suffisants. Ils ont ainsi considéré que l’association de malfaiteurs était fondée sur l’idée que Claude Guéant et Brice Hortefeux auraient rencontré Abdallah Senoussi -frappé par un mandat d’arrêt international pour sa responsabilité dans l’attentat du DC-10 d’UTA en 1989-, bras droit de Mouammar Kadhafi (chef d’État de la Libye en 2007), afin de conclure un pacte de corruption. 

      Au terme de ce pacte le dictateur se serait engagé à financer la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, en échange d’une pression diplomatique et juridique de l’État français visant à faire annuler le mandat d’arrêt prononcé à l’encontre de Senoussi, comme l’explique l’une des deux journalistes de Mediapart à l’origine de l’enquête, Fabrice Arfi. C’est une hypothèse, probable certes au vu des éléments troublants étayés par les enquêteurs du PNF au terme d’une enquête approfondie de dix ans -virements bancaires effectués sur des comptes off-shores de tiers, valise de billets- mais une simple hypothèse, loin de constituer une preuve au sens de l’article 427 du code de procédure pénale ; c’est d’ailleurs ce qu’ont reconnu les juges en écartant les principaux chefs d’accusation. 

      Dès lors, la condamnation de Nicolas Sarkozy pour association de malfaiteurs semble juridiquement discutable. Le chef d’accusation reste nuageux et « fourre-tout », pour reprendre le terme employé par ses avocats. Outre le chef d’accusation retenu, le second point critiquable du jugement concerne l’exécution provisoire de la peine prononcée.

      Une exécution provisoire injustifiée

      En principe, l’exécution provisoire doit demeurer exceptionnelle, dès lors qu’elle déroge au caractère suspensif de l’appel ainsi qu’à la présomption d’innocence, principes fondamentaux du procès protégés par la Constitution et respectivement consacrés en 1981 et 1996 par le Conseil constitutionnel. Dès lors qu’un prévenu n’a pas été définitivement condamné, il ne peut voir sa peine exécutée selon l’article 708 du code de procédure pénale. Il existe toutefois quelques cas dans lesquels le tribunal peut prononcer l’exécution provisoire de la peine, à condition de justifier cette mesure ; c’était d’ailleurs le cas en 2022 de 55% des peines d’emprisonnement ferme prononcées par le tribunal correctionnel. Sur ce dernier point, on ne peut que saluer la volonté louable des juges de développer de façon très didactique, sur plus de 380 pages de jugement, leur appréciation in concreto des faits et de leur gravité.

      Malgré tout, les arguments retenus par ces derniers à savoir « l’exceptionnelle gravité des faits imputés » à Nicolas Sarkozy ainsi qu’un risque de trouble à l’ordre public, ne justifient pas la sévérité d’une exécution provisoire dont le prévenu ne peut, en matière pénale, demander la suspension au premier président de la Cour d’appel, contrairement à la matière civile. 

      En premier lieu, les soupçons de corruption, de recel et de financement illégal -bien que non prouvés- sont certes graves mais ils remontent à 2007 et n’ont plus aucune conséquence concrète aujourd’hui dans la vie politique ou l’opinion publique. En second lieu, Nicolas Sarkozy, au long des dix années d’enquête, a répondu aux questions des magistrats et s’est présenté à toutes les audiences ; le trouble à l’ordre public ou même le risque de récidive, semblent inexistants. Enfin, il n’est pas choquant qu’il nie catégoriquement les faits, dès lors qu’il affirme être innocent depuis 2011 et sa mise en cause par les premiers articles de Mediapart sur le sujet.

      Ainsi, cette exécution provisoire semble disproportionnée et directement porter atteinte aux exigences de l’État de droit démocratique.

      Il ne reste désormais qu’à attendre le jugement de la Cour d’appel, en rappelant que Nicolas Sarkozy reste à ce jour présumé innocent. 

      Sources : 

      • https://lessurligneurs.eu/dossier-condamnation-de-nicolas-sarkozy-comprendre-le-jugement-balayer-lemballement/
      • https://www.mediapart.fr/journal/france/260925/sarkozy-kadhafi-dix-questions-pour-tout-comprendre-d-un-jugement-historique
      • https://www.leclubdesjuristes.com/les-podcasts/quid-juris-la-condamnation-de-nicolas-sarkozy-au-prisme-du-droit-12300/
      • https://www.anticor.org/2025/09/25/affaire-du-financement-libyen-une-condamnation-de-nicolas-sarkozy-historique-et-inedite/
      • https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/09/25/le-monde-publie-les-principaux-extraits-du-jugement-condamnant-nicolas-sarkozy-il-s-agit-donc-de-faits-d-une-gravite-exceptionnelle-de-nature-a-alterer-la-confiance-des-citoyens-dans-ceux-qui-les-representent_6642962_3224.html
      • https://www.lexpress.fr/politique/condamnation-de-nicolas-sarkozy-lexecution-provisoire-est-elle-justifiee-lanalyse-de-mathieu-disant-4VOJTSX6KJGKRHEYLZAEJVXGAY/
      • https://www.youtube.com/watch?v=aqeqCLFEmG8
      • https://www.lejdd.fr/politique/nicolas-sarkozy-et-lassociation-de-malfaiteurs-une-incrimination-fragile-162354
      • https://www.lefigaro.fr/actualite-france/incomprehensible-volonte-d-humilier-les-avocats-de-nicolas-sarkozy-reagissent-a-sa-condamnation-20250926
      • https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/ces-affaires-qui-empoisonnent-sarkozy-139506
      • https://www.lefigaro.fr/actualite-france/financement-libyen-le-proces-en-appel-de-nicolas-sarkozy-aura-lieu-avant-le-25-mars-20251001
      • https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ%2FOASIS%2F000065
      • https://www.leclubdesjuristes.com/justice/lexecution-provisoire-et-sa-justification-critique-et-clinique-10128/
      • https://theconversation.com/nicolas-sarkozy-condamne-a-une-incarceration-sans-attendre-son-appel-pourquoi-cette-execution-provisoire-est-banale-266677
      Avatar photo

      André Bolkonsky

      Étudiant en droit, mon parcours universitaire et un suivi attentif de l’actualité politique m’ont permis de mesurer l’écart abyssal qui existe entre la réalité de la délinquance et le régime légal censé la sanctionner. Dans la perspective de sensibiliser nos lecteurs à cet écart, et dans l'objectif de mettre en lumière les failles du système, j’apporte ma contribution à l’Observatoire des décisions de Justice. En tant que futur avocat, mon souhait le plus cher est que le droit français concilie efficacement le maintien de l’ordre et de la sécurité avec la préservation des libertés individuelles, essentielles à chacun.

      Articles: 3